mardi 29 décembre 2020

Le meilleur des mondes

Ilan Duran Cohen, avec son Petit Polémiste, nous transporte dans une vingtaine d'années en France. Son narrateur, polémiste pour une chaine TV, est gentiment grinçant. Il dénonce les dérives d'une société qui vise la perfection.

L'égalité des sexes est totale. Tout propos sexiste, raciste, toute insulte, toute grossièreté, est désormais sévèrement puni par la loi. La consommation d'alcool est rationnée pour le bien de chacun. La cigarette interdite. Le ministère du Carbone veille à ce que les vêtements soient en matières recyclées. La consommation de viande est sévèrement contrôlée. Ainsi que de produits laitiers. Le bien-être animal est sérieusement pris en compte et frapper un chien mène au tribunal. L'égalité des sexes est apprise à l'école. Le changement de sexe est encouragé. La décentralisation est enfin réalisée (p121 : "Nous sommes dans le TGV avec mon avocate, en direction de la Cité de la justice d'Ile de France qui a été délocalisée en Bretagne pour favoriser le lien entre les régions.").

Afin de permettre ce monde de respect où l'Etat veille au bonheur de tous, chaque citoyen a un mapping, un score qui évolue selon sa conduite et conditionne ses habilitations. Un Algorythme autorise et facilite les rencontres sentimentales. L'eau est rationnée. Autrui est un délateur qui dénonce instantanément tout écart sur les réseaux sociaux, et aux autorités. Les caméras sont partout. Et tout écart est sévèrement puni. Le héros va s'en rendre compte après s'être malencontreusement risqué à une parole sexiste lors d'un dîner, début de sa descente aux Enfers.


Récit inspiré, drôle et désespérant. Sur l'intolérance absolue du parti de la Tolérance qui pour le bonheur de l'humanité n'hésitera pas à tous nous enfermer dans le plus abject totalitarisme. 

Les activistes qui attaquent les boucheries, les écologistes qui crèvent les pneus des 4x4, les tenants de l'écriture inclusive, les partisans de la cancel culture représenteraient autant de nouvelles tendances hétérogènes qui contribueront à façonner la société de demain, avec plus ou moins d'excès. Un avenir complexe, selon l'auteur. Ce dernier présente avec brio ses réserves et ses peurs.

Qu'on adhère ou non aux idées de l'auteur, on rit beaucoup, tout en s'angoissant.

 

mercredi 11 novembre 2020

La quintessence de la page blanche

Edwin Topliss écrit des romans pornos. Ce n'était pas sa vocation mais c'est devenu son gagne-pain. Il a nombre d'astuces pour les débiter mécaniquement. 15 pages par jour, 10 jours, et il a fini son mois. Marié, un enfant, embourgeoisé, il charrie nombre de regrets.

Jusqu'à ce roman de trop. Celui qu'il n'arrive plus à écrire, le cerveau perdu dans des digressions sans fin. Ce roman, son roman, compte peut-être cinq ou six chapitres 1, quelques chapitres 2, et l'on assiste en partageant son angoisse au mois qui s'écoule, et à sa vie qui s'écroule en parallèle.

Beaucoup d'humour et de références dans ce roman de Donald Westlake au curieux nom d'Adios Schéhérazade (une invention de son héros). L'angoisse de la page blanche, ou plutôt de la page noircie, mais pas du tout de ce qu'il aurait fallu, est parfaitement retranscrite.

Un beau moment de lecture, fort déroutant.


 

mardi 25 août 2020

Les enquêtes du petit consul

 

Dans le Suspendu de Conakry, Jean-Christophe Rufin nous fait suivre une enquête suite à meurtre commis dans la marina de Conakry. La torpeur et la moiteur locales imprègnent chaque page, d’autant que le peu charismatique héros, le consul de France Aurel Timescu, n’apprécie pas du tout la chaleur et son affectation.

Aurel fait honneur à ses origines roumaines en s’habillant chaudement. Détesté de sa hiérarchie (j’ai appris qu’un consul, finalement, ça ne pèse pas bien lourd, ce n’est pas un consul général), mis au sens propre au placard, il s’ennuie, et passe le temps en buvant du vin blanc et composant un opéra. Ce crime inhabituel va le sortir de sa léthargie. Accompagné de la sœur du défunt, il va mener l’enquête, officieusement.

Bref, un polar honnête, une intrigue qui tient la route, une atmosphère bien rendue et originale, mais un personnage principal fort peu charismatique. Le style est propre et sobre, sans aspérités. On lit, mais on ne s’attache pas. Et la dernière page tournée, Conakry commence déjà de lentement s’effacer dans les limbes de la pensée. Ca ne m’a pas donné envie d’aller visiter.

dimanche 10 mai 2020

Ravel

Jean Echenoz a raconté les dix dernières années de la vie de Ravel, dans un ouvrage éponyme. On ne peut pas parler de biographie au sens classique du terme. Plutôt d'un portrait, constitué de petites touches délicates. Où le non-dit parle autant que le narré, comme en musique les silences font partie intégrante de la composition.
Echenoz dépeint un homme portant l'attention la plus extrême à son élégance, qui n'hésitait pas à lancer une mode, plutôt qu'à la suivre. De même qu'en musique, Ravel avait également son style. Il faisait du Ravel. Individu extrême, extrêmement conscient de sa popularité, et vivant fort mal les inimitiés et critiques, nombreuses, inhérentes à son caractère.
Un homme entouré de femmes et à la fois solitaire. Qui passa toute sa vie à la recherche du sommeil.

Toutes ces petites touches forment un tableau émouvant, fin, qui prend toute sa précision dès que le lecteur prend du recul, à la manière d'une toile impressionniste.
Ah, j'oubliais, il a écrit le Boléro. Visiblement, il n'a pas fait exprès. 

  

jeudi 26 janvier 2017

Retour au Botswana

"Elle avait compris comment l'Américaine voyait les choses et saisi la difficulté qu'il y aurait à transmettre ces vérités subtiles à une personne qui pensait que le monde était entièrement explicable par la science. Les Américains étaient très intelligents : ils envoyaient des fusées dans l'espace et inventaient des machines capables de réfléchir plus vite que n'importe quel être humain, mais toute cette intelligence les rendait aveugles. Ils ne comprenaient pas les autres peuples. Ils pensaient que tout le monde voyait les choses de la même façon qu'eux-mêmes, ce en quoi ils se trompaient. La science ne représentait qu'une partie de la vérité. Il existait également beaucoup d'autres choses qui rendaient le monde tel qu'il était, et les Américains ne les remarquaient pas toujours, bien qu'elles fussent présentes en permanence, là, sous leur nez." p121, éditions 10/18



Suite des aventures de Mma Ramotswe, première femme détective du Botswana, où elle a ouvert son agence : la disparition d'un jeune homme, une affaire d'adultère et une demande en mariage, vont fortement l'occuper.
Derrière la naïveté apparente du récit se révèlent une profondeur touchante, et un grand amour de l'auteur pour un pays, sa population et sa culture.
Pas de meurtres ici, on n'est pas au Nigeria, comme disent les protagonistes, mais tout de même de méchantes gens à punir en quantité suffisante pour donner du travail à notre détective.
J'en suis fan.
Les Larmes de la Girafe, d'Alexander McCall Smith.
 

vendredi 13 janvier 2017

Grand froid

Un Gros Bobard et Autres Racontars est un des volumes des aventures des trappeurs de la côte Nord Est du Groenland, si chers à Jorn Riel. Des hommes rudes, solitaires, parfois violents, et d'une humanité profonde, qui rend ces récits, à peine exagérés, si délicieux.
Que ce soit la transformation du farouche capitaine Olsen sous le coup de l'amour, l'orchestre du nouvel an, ou l'accueil d'un club d'alpiniste, toutes les histoires sont jubilatoires.


Extrait p69, éditions 10/18 : Les alpinistes viennent de reprendre le bateau

-  Lasselille a l'air encore plus penaud que d'habitude, raconta Mads Madsen. On dirait presque qu'il s'est mis à chialer. Allons bon, qu'est-ce qu'il a encore fait, le fiston ?
Il posa la question directement à Lasselille quand celui-ci remonta de la plage en rasant le sol.
- Je voulais leur faire plaisir, renifla le jeune chasseur. J'suis monté jusqu'en haut de l'Alaine pour vérifier qu'ils n'avaient rien oublié. Et j'ai trouvé ça, c'était resté accroché en haut avec quelques clous en cuivre.
Bjorken prit la petite plaque de laiton que Lasselille lui présentait.
"Le club des Joyeux Montagnards Danois de 1897 a posé cette plaque en souvenir de son escalade de l'Alaine lors de l'été 1936."
Le chef de station regarda, méditatif, son élève.
- Hum, et Frederiksen ne voulait donc pas la récupérer ?
- Il m'a traité de voyou et de choses pires encore, sanglota Lasselille.
Bjorken lui donna la plaque.
- Je propose, mon garçon, que tu cloues cette plaque au-dessus de ta couchette pour toujours te remémorer que dans ce bas monde il ne faut jamais s'attendre à la reconnaissance des gens.

Une lecture qui me rend toujours aussi heureux.

jeudi 5 janvier 2017

Un autre James Bond

Je me rends compte que j'ai omis d'écrire tout le bien que j'avais pensé d'Au Service Surnaturel de Sa Majesté, de Daniel O'Malley.
C'est un premier roman, extrêmement plaisant.
Il emprunte un peu au cycle The Laundry de Stross, un service secret de plus au service de la Reine. Il chasse le démon, comme le précédent. Mais celui-ci est plus physique, et moins technologique, que le précédent. Plus volontiers humoristique également.
L'ensemble est bien pensé, bien construit, un peu sanguinolent, agréablement cohérent et riche en rebondissements.

Une pépite pour amateurs d'univers fantastico-contemporains, fans de MIB à la sauce lovecraftienne et autres doux rêveurs.