mardi 22 mars 2011

Les tréfonds de l'âme humaine

Trois courts romans sur l'âme humaine, qui n'ont rien à voir entre eux.

Anna Gavalda, dans ce court roman qu'est l'Échappée Belle, nous emmène a la rencontre de quatre frères et soeurs. La vie les a éloignés, lentement, mais leur amour est toujours aussi fort. Ils vont s'accorder, le temps d'un weekend, le temps de se retrouver. Ces deux jours, ils vont les voler au quotidien, aux convenances et aux obligations sociales. Une bouffée d'air frais, en musique. La délicatesse de l'instant, la fragilité du bonheur, le bien-être ressenti à partager quelques instants de plus avec ceux qu'on aime.
Toutes les émotions sont suggérées, ressenties. Un roman caresse. Odeur de rose.


Tonino Benaquista, avec La Boite Noire, nous fait suivre l'itinéraire d'un jeune homme qui a été victime d'un grave accident de la route. Dans le coma, il a parlé. Beaucoup et longtemps. Sa boite noire s'est ouverte. Une infirmière présente a tout noté. A sa sortie de la clinique, elle lui offre la clef de son subconscient. Ainsi équipé, le narrateur va porter un regard neuf sur son passé.
Une belle et optimiste histoire sur la découverte de soi, portée par tout le talent de Benacquista. Un roman pétillant. Odeur citronnée.
Pour info, nouvelle adaptée au cinéma dans un film de Richard Berry, avec José Garcia, que je n'ai pas vu.



John Fante, avec Mon Chien Stupide, amène son lecteur dans la tête d'un narrateur également torturé. Toutefois, ce dernier se pose peu de questions sur lui-même. Scénariste de moyenne envergure et sans confiance en lui, il porte un regard sans aménité sur sa femme et ses quatre enfants. Propriétaire d'une villa en bord de mer sur la cote californienne, le pauvre chou s'estime le plus malheureux du monde et ne rêve que de tout plaquer pour s'enfuir en Italie, ce dont il n'a jamais le courage. La seule satisfaction du bonhomme, c'est l'énorme chien qui vient un jour squatter son jardin et dont les pulsions sexuelles débridées terrorisent ou agressent le voisinage et une partie de ses proches.
L'âme humaine peut aussi être mesquine et petite. Odeur de poubelle.
NB : Je sais, c'est supposé être un roman drôle et satirique. Est-ce ma faute, si je n'ai pas ri ?

Des Choses Fragiles

Quel conteur. Quel plaisir toujours renouvelé que d'ouvrir un ouvrage de Neil Gaiman. Des Choses Fragiles est un recueil de nouvelles. Beaucoup primées. Toutes différentes. Des idées simples et si lumineuses que l'on se demande systématiquement : quelle belle idée, pourquoi n'y ai-je jamais pensé ?

Une Etude en Vert, nouvelle mêlant les univers de Sherlock Holmes et de Lovecraft est tout simplement jouissive. La Présidence d'Octobre, où les mois de l'année se retrouvent autour du feu pour se raconter des histoires, est également un grand moment. La Vérité sur le Cas du Départ de Mademoiselle Finch, où le narrateur découvre un étrange cirque en représentation sous Londres, je l'ai relu à haute voix pour la savourer.

Il y a aussi des mini-nouvelles, comme d'Etranges Petites Filles : une douzaine de portraits de moins d'une page. Un exercice dans lequel l'auteur excelle.
Extrait de cette nouvelle : Pluie de sang (page 235, J'ai Lu)
"Voici : un exercice de choix. Votre choix. L'un des récits suivants est vrai.
Elle a survécu à la guerre. En 1959, elle s'est exilée en Amérique. Cette toute petite Française aux cheveux blancs, avec une fille et une petite-fille, habite désormais un appartement à Miami. Elle ne fréquente personne et ne sourit que rarement, comme si le poids des souvenirs l'empêchait de trouver la joie.
Ou bien c'est un mensonge. En fait, la Gestapo l'a ramassée alors qu'elle franchissait une frontière en 1943, et l'a laissée dans un champ. D'abord, elle a creusé sa propre tombe, puis on lui a tiré une balle dans la nuque.
Sa dernière pensée, avant ladite balle, a été qu'elle était enceinte de quatre mois et que si nous ne nous battons pas pour créer un futur, il n'en existera aucun pour personne.
Il est à Miami une vieille femme qui s'éveille, désorientée, d'un rêve où le vent soufflait sur les fleurs sauvages dans un pré.
Il est sous la terre chaude française des os inaltérés qui rêvent du mariage d'un enfant - une fille. On y boit du bon vin. Les seules larmes qu'on y verse sont des larmes de joie."


Avec Gaiman, le but est dans le chemin. Les conclusions m'ont rarement autant plu que le fil des histoires. Je souhaiterais plutôt qu'elles ne s'arrêtent pas. Un peu comme lorsque l'on finit le Seigneur des Anneaux et que l'on se voit obligé de vite le recommencer pour ne pas quitter Frodon et Sam.

vendredi 4 mars 2011

Trou de mémoire

Exceptionnel narrateur, que Lois McMaster Bujold. Memory fait suite à la Danse du Miroir, dans le cadre de la Saga Vorkosigan. C'est loin d'en être le meilleur opus. Toutefois, à la différence d'un Robert Jordan, triste tireur à la ligne dont le nombre d'idées originales par roman dépasse rarement les doigts de la main (j'ai le droit de le penser, quatre romans gobés permettent un début d'approche statistique), Bujold n'écrit jamais deux fois la même histoire. Toujours, elle emmène son lecteur sur un sentier nouveau, non seulement pour son œuvre, mais aussi fréquemment dans l'absolu. Qu'il est bon de se dire que voilà une intrigue qui surprend, qu'on ne relit pas pour la nième fois.

Le héros est comme McMaster Bujold les aime : torturé moralement et affaibli physiquement. Une détermination hors du commun fait le reste. Miles, qui vient d'être exclu de la Sécurité Impériale pour faits de trahison, va être amené à se remettre au service de l'Empereur pour enquêter sur le sort de son ancien chef.

Extrait Page 83 (Editions J'ai Lu)
"Illyan n'oubliait jamais rien. Pour la bonne raison qu'il ne le pouvait pas. A une époque reculée, quand il était lui-même un lieutenant de la SecImp, l'Empereur Ezar l'avait envoyé sur la lointaine Illyrica afin de se faire implanter une biochip mémorielle dans le cerveau. Le vieil Ezar avait eu envie d'avoir un magnétophone vivant qui ne répondrait qu'à lui. La technique, alors, en était encore au stade expérimental en raison des quatre-vingt-dix pour cent de cas de schizophrénie iatrogène observés chez les porteurs de la biochip en question. Ezar, sans le moindre scrupule, avait choisi de courir le risque. Du moins avait-il envoyé le jeune officier le courir à sa place. [...]
Miles se demanda quel effet ça faisait d'avoir trente-cinq ans de souvenirs entassés dans la mémoire, aussi frais et vivants que si les événements s'étaient déroulés la veille. Le passé ne serait jamais adouci par la bienheureuse brume de l'oubli. C'était ça, la damnation éternelle ? Pouvoir revivre jusqu'à la folie la moindre erreur commise, en Technicolor et son stéréo ? Rien d'étonnant à ce que les cobayes soient devenus barjots."



Comme on l'imagine, la puce va se détraquer. Et Miles, bien que discrédité, reprendre du service.
Une lecture plaisir qui m'a donné envie de me replonger dans l'excellente Saga Vorkosigan, et ses quatre prix Hugo.

NB : L'auteur a pour point commun avec Agatha Christie, outre le fait d'apprécier particulièrement les intrigues policières, d'avoir un faible avoué pour l'eau de rose. Mais comme moi aussi...

mardi 1 mars 2011

Du coq à l'âne

Michel Pastureau a la rigueur des grands historiens. Les Animaux Célèbres traitent d'une quarantaine de cas d'animaux, chronologiquement, qui ont marqué l'Histoire. C'est incisif, limpide, passionnant. Pastureau fournit des clefs de compréhension de l'histoire à la lumière du rapport de l'homme à l'animal depuis la plus lointaine antiquité jusqu'à nos jours.


Extrait page 245 aux éditions Arlea :
"Au printemps 1804, Napoléon Bonaparte n'est encore que Premier consul. Mais il songe déjà à instituer un nouveau régime impérial et à doter celui-ci d'emblèmes et de symboles nouveaux. Pour ce faire, il prend conseil. Parmi les différents animaux que lui propose son entourage (éléphant, lion, aigle, coq), les abeilles ont la faveur particulière du premier consul parce que, suivant l'heureuse formule de Cambacérès, "elles sont l'image d'une république qui a un chef", c'est à dire "l'image de la France-même". En outre, dans l'entourage du futur empereur, on met en avant une idée antique - chère à Virgile et aux pères de l'Eglise - qui voit dans la société des abeilles un modèle pour celle des hommes.
Mais le choix des abeilles napoléoniennes a également une autre signification. Il permet de rattacher par-delà les siècles le nouveau régime à une dynastie royale qui avait autrefois gouverné la France : les Mérovingiens. De même que l'aigle, parmi ses multiples significations, associe la mémoire de Charlemagne et de l'empire carolingien au nouveau régime, de même les abeilles, en puisant plus en amont encore, rappellent le souvenir de Clovis et de sa lignée."

J'ose dire que la quasi intégralité de l'ouvrage est du niveau de cet extrait. Que de connaissances et d'idées, exprimées avec la simplicité et la structure de ceux qui maitrisent réellement et pleinement leur sujet. Pour citer Boileau : Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Ce livre en est une parfaite illustration.
Ce mobre en est une parfaite illustration.Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement - Et les mots pour le dire arrivent aisément
Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement - Et les mots pour le dire arrivent aisément

Réalité virtuelle, ennui réel

Amer constat, l'un des romans les plus brillants que j'aie lu ces derniers mois a distillé chez moi un ennui profond. La Cité des Permutants, de Greg Egan, traite de réalité virtuelle, sujet qui pourtant m'intéresse fortement. Et s'il était possible de reproduire jusqu'au niveau moléculaire un être humain virtuellement, cet avatar n'aurait-il pas la sensation d'être vivant ? Quels seraient ses droits et quels seraient les droits que son initiateur aurait sur lui ?
Les sujets de réflexion sont nombreux : s'il est possible de voir sa conscience dédoublée dans le corps d'un avatar virtuel, n'échappe-t-on pas ainsi à la mort ?
Et si un monde virtuel et ses habitants pouvaient s'affranchir de la tutelle de notre monde réel ?

Extrait page 141 :
"Fraichement ressuscité, il s'était constamment inquiété de savoir quels aspects de son passé il devrait imiter pour conserver la raison et lesquels il devrait éliminer pour être honnête avec lui-même. Une fenêtre avec vue sur la ville semblait suffisamment innocente  - mais c'était grotesque de traverser à pied ou à bicyclette un décor de foules artificielles, et, les rares fois où il avait tenté l'expérience, il l'avait trouvée intensément déprimante. Cela ressemblait trop à la vie et trop au rêve qu'il chérissait : revenir un jour parmi les vivants. Il ne doutait point qu'il se serait à la longue vacciné contre l'illusion, mais ce n'était pas ce qu'il voulait. Lorsque finalement il habiterait un robot de téléprésence aussi réaliste que son propre corps perdu - lorsque finalement il voyagerait à nouveau dans un vrai train et descendrait à nouveau une vraie rue -, il ne voulait pas que la joie de ces expériences soit émoussée par des années de simulation parfaite."


Le problème est que durant les trois quarts du livre, les brillantes idées de l'auteur sont décrites de façon quasi-cliniques, amenant à les survoler avec un certain intérêt intellectuel, mais sans le moindre engagement. Tout cela manque d'âme, âme paradoxalement remise en avant quand l'action finalement se déroule dans la fameuse cité virtuelle indépendante. Peut-être l'effet fut-il souhaité par Egan ? En attendant, la lecture en est rendue peu attachante, si ce n'est parfois fastidieuse.

Un grand livre, que je ne conseillerai donc que dans le cas d'un intérêt prononcé pour les mondes virtuels, et encore.