lundi 26 octobre 2009

OVNI littéraire

Les extra-terrestres ont débarqué. A Barcelone.
En fait, ils sont deux, Gurb et le narrateur, envoyés sur Terre à titre d'étude de la planète et de ses habitants. Gurb, parti en mission d'exploration le premier, a disparu.
Son chef décide de partir à sa recherche.

S'adapter à la vie barcelonaise (tout en sachant passer inaperçu) ne va pas être facile pour ces êtres constitués de pure intelligence, ayant été obligés de s'incarner pour l'occasion. Et notamment quand le narrateur, qui a acheté un petit appartement, commence à en pincer pour sa voisine.

Extrait :
19h00 : J'ourdis un plan qui me permettra d'entrer en relations avec ma voisine sans éveiller ses soupsons à propos de mes intentions. Je m'entraîne devant la glace.

20h30 : Je vais chez ma voisine, je frappe doucement à sa porte, ma voisine m'ouvre en personne. Je m'excuse de l'importuner à cette heure et je dis (mais c'est un mensonge) qu'en faisant la cuisine je me suis aperçu que je n'avais pas un grain de riz. Aurait-elle l'amabilité de me prêter une tasse de riz que je lui rendrai sans faute dès que le magasin Mercabarna sera ouvert (demain matin à cinq heures ?) Il ne m'en faut pas d'avantage. Elle me donne la tasse de riz, et me dit qu'il est inutile de lui rapporter le riz, ni demain, ni plus tard, et que les voisins sont là pour s'entraider. Je la remercie. Nous nous disons au revoir. Elle ferme la porte. Je monte en courant chez moi et je jette le riz à la poubelle. Le plan marche encore mieux que je ne l'avais prévu.

20h35 : Je frappe de nouveau à la porte de ma voisine. Elle m'ouvre en personne. Je lui demande deux cuillerées d'huile.

20h39 : Je frappe de nouveau à la porte de ma voisine. Elle m'ouvre en personne. Je lui demande une tête d'ail.

20h42 : Je frappe de nouveau à la porte de ma voisine. Elle m'ouvre en personne. Je lui demande quatre tomates pelées sans pépins.

20h44 : Je frappe de nouveau à la porte de ma voisine. Elle m'ouvre en personne. Je lui demande du sel, du poivre, du persil, du safran.

20h46 : Je frappe de nouveau à la porte de ma voisine. Elle m'ouvre en personne. Je lui demande deux cents grammes d'artichauts (déjà bouillis), des petits pois et des haricots mange-tout.

20h47 : Je frappe de nouveau à la porte de ma voisine. Elle m'ouvre en personne. Je lui demande une livre de crevettes épluchées, cent grammes de fromage rapé, deux cents grammes de moules vivantes. Elle me donne deux mille pesetas et me dit d'aller manger au restaurant et de la laisser tranquille.

21h00 : Je suis tellement déprimé que je n'ai même pas la force de manger les douze kilos de beignets que je me suis fait monter par un livreur.

Voilà, vous voyez le genre. Ca peut faire notamment penser à du "Troisième Planète Après le Soleil". L'auteur s'appelle Eduardo Mendoza, et le livre Sans Nouvelles de Gurb.
C'est un très bon moment, à condition bien entendu de supporter ce type d'humour. La part importante de private jokes barcelonaises en fait un livre encore plus agréable pour un Catalan. Mais nobody's perfect.

17/20 

jeudi 22 octobre 2009

Mission diplomatique

Miles Vorkosigan est petit, et d'une physionomie s'apparentant peu à celle d'un surfeur californien. Son papa étant un grand ponte de la planète Barrayar, ses missions sont plus attribuées par le commun au népotisme qu'à une quelconque rationnalité.
Erreur. Miles est un malin, doublé d'un obstiné. Envoyé avec son dadais de cousin (mais qui porte, lui, si bien l'uniforme) aux grandioses obsèques de l'impératrice mère de l'Empire de Cetaganda, il va être plongé dans une machination complexe dont le but n'est rien moins que de déstabiliser l'Empire.

Cetaganda, de Lois MacMaster Bujold, est de la science-fiction à la sauce bujoldienne. Le héros est, comme d'habitude, abimé de partout à l'extérieur et tout perturbé à l'intérieur. Heureusement, son intelligence dépasse la force de ses ennemis (je ne crois absolument pas en cette théorie). Heureusement pour lui, car les intrigues de l'auteur ont toutes ceci en commun qu'elles sont passablement complexes. Compréhensibles, mais complexes.

A noter que la saga Vorkosigan a été récompensée par deux prix Hugo, pour Miles Vorkosigan (1992) et Barrayar (1993).

Ce roman-ci ne valait pas un Prix Hugo, mais son intrigue policière équivalait largement à un Agatha Christie.

16/20

mardi 13 octobre 2009

Les forces de l'ombre

Les Etats-Unis ont été envahis. Les Panasiates, fidèles soldat de l'empereur céleste, qui règne sur toute l'Asie, ont pris de court l'Amérique. Washington et New-York ont été rasées par les bombes.
Les soldats de l'Empire ont pris possession de l'ensemble du territoire et mettent en place, avec l'aide d'administrateurs expérimentés, la mise en esclavage de la population, la disparition programmée de son éducation et de sa culture, comme ils l'avaient déjà fait en Inde.
Robert Heinlein, signe avec Sixième Colonne, l'un de ses premiers romans. Il a déjà son style vif, dynamique, de grand conteur d'histoire. Heinlein a une idée par page, il ne délaie pas, ses oeuvres sont un condensé de trouvailles qu'il brule sans compter. Hamilton en aurait fait quatre volumes, et l'on n'aurait plus rien méconnu du fonctionnement du moindre appareil de transmission. Heinlein n'a pas de temps à perdre.

Il décrit la mise en place de la résistance avec rigueur. Il est militaire dans l'âme. De ce point de vue, ce livre peut se lire comme une initiation au management de projet : hiérarchisation des priorités, attribution des responsabilités, gestion des hommes, mise en oeuvre, reporting...

L'ouvrage est délicieusement daté, comme l'était déjà Marionnettes Humaines. Un bon film des années 50. Avec des hommes, des vrais, des durs qui ont le sens du devoir.

Un vrai plaisir, comme toujours. Attention toutefois : roman difficile à lacher et risquant donc de provoquer des nuits écourtées.

17/20

PS : Dans la mesure où j'aime bien la contradiction, surtout quand elle est finement amenée, voici une critique du même ouvrage par ActuSF, où l'auteur n'est pas, mais pas du tout, aussi élogieux que moi. Il ne doit pas aimer les vieux films américains... http://www.actusf.com/spip/article-2961.html

jeudi 8 octobre 2009

Petites cellules grises

A quoi reconnaît-on un grand auteur ? A-t-il reçu des prix pour son œuvre ? Est-il au Panthéon national ? Ses livres ont-ils survévu aux siècles ? Laisse-t-il une empreinte émue dans l'esprit de ses lecteurs ?
J'ai un autre critère, supplémentaire : il a un style. Le sien. Reconnaissable en quelques lignes.

Extrait de la nouvelle Enigme en Mer (Problem at Sea) :
"- Messieurs, Mesdames, préluda-t-il avec emphase tout en mêlant à son habitude le français à ses quelques bribes de mauvais anglais, il est fort aimable à vous d'avoir l'indulgence de m'écouter. M. le capitaine vous a signalé que je possède une certaine expérience de ce genre d'affaires. J'ai, il est vrai, ma petite idée quant à la manière d'élucider le présent mystère.
Il fit un signe et un steward se fraya un chemin vers l'estrade pour lui remettre un objet aussi volumineux qu'informe enveloppé dans un drap.
- Ce que je suis sur le point de faire va sans doute vous surprendre un peu, les avertit-il. Vous me prendrez peut-être pour un excentrique, voire pour un fou. Néanmoins, je vous assure que derrière ma folie se cache -comme vous autres Anglais aimez à le dire - une méthode."

A chaque fois que je lis une enquête d'Hercule Poirot (ne me dites pas que vous ne l'aviez pas reconnu), je l'imagine sous les traits de Peter Ustinov, tellement plus proche à mon goût du personnage que le peu ragoutant David Suchet.


Dans le Bal de la Victoire, d’Agatha Christie, on retrouve le célèbre détective belge dans une série d’enquêtes, de qualités inégales par ailleurs. C’est toutefois toujours un plaisir de voir Poirot utiliser ses petites cellules grises et son sens de la psychologie pour confondre les meurtriers. Ses déductions ne tiendraient pas toujours lieu de preuves devant un tribunal. C’est pourquoi il est heureux que le fairplay so british fasse quasi systématiquement avouer son crime au méchant démasqué.

Une lecture plaisir, donc. Les jours se faisant plus court et le temps plus maussade, il est urgent de se réconforter.

15/20

vendredi 2 octobre 2009

L'homme qui a vu l'ours

Il y a des auteurs comme ça, qu'on se garde précieusement, car la lecture de leurs oeuvres donne le moral, rend simplement heureux. On devrait tous en avoir quelques uns, au même titre qu'une armoire à pharmacie bien remplie.
Grâce à W qui me l'a fait découvrir, je compte parmi ces auteurs Jorn Riel. Un écrivain danois qui a écrit des nouvelles sur la vie de chasseurs dans le nord-est groenlandais : dis comme ça, on ne devinerait pas. Et pourtant, c'est drôle, fin et terriblement humain.

Dans La Passion Secrète de Fjordur, on retrouve les trappeurs dans sept petites merveilles de nouvelles.

Parmi ces nouvelles, l'Epreuve de Virilité : le jeune Lasselille déprime de ne jamais avoir réussi à tuer d'ours blanc. Ses camarades vont donc prévoir une habile mise en scène.
Dans Un Cas d'Autodéfense, un fonctionnaire débarque et s'installe dans la cabane de trois chasseurs, supposés se mettre à son service pour l'année qui vient, le temps d'une étude sur la faune locale.
Extrait :
L'inspecteur devint rapidement une vraie plaie. Pernicieux, comme un phlegmon sur l'index ou une poussée d'hémorroïdes. Et ni une intervention rapide avec un couteau de cuisine, ni des bains au savon chaud dans la bassine à faire la lessive ne pouvaient rien contre lui.
Il avait été amené sur la côte par la Vesle Mari et débarqué à Cap Thompson par un capitaine Olsen hilare.
-Eh ouais, les gars, voici la contribution de la science à la face obscure du Groenland, avait-il dit en faisant les présentations. Il est inspecteur et doit recenser les bruants des neiges, et étudier les moeurs sexuelles des boeufs musqués ; voilà ce qu'il va faire, ouais, hé, hé, et puis vérifier à l'occasion si vous vous confirmez bien aux nouveaux règlements de chasse qu'il est en train de concocter.
Et voilà que s'était dressé au milieu des galets de la plage un grand échalas de scientifique vouté, qui fixait les alentours à travers des lorgnons plaqués or 5 carats.

Une lecture que je fais plus que recommander. A lire et relire.

18/20